Can you write the first lines of my story ? ♦ Moon Chan Mi - Yang Jung Mo

Les premières lueurs du jour ont, comme tous les matins, contribué à lentement me sortir de mon sommeil. Depuis que j'ai élu domicile dans ce studio, les fenêtres ont toujours été dépourvues de persiennes et de stores. Et il faut bien admettre que je n'ai pas non plus cherché à y remédier. Seuls quelques lambeaux de voilages tentaient vainement d'occulter ma pièce à vivre du mieux qu'ils pouvaient. Mais je ne m'en plains pas, de toute façon j'ai toujours été un lève-tôt.

Depuis que j'ai été affecté au Downtown, une pile de dossiers plus haute qu'auparavant s'entassait au coin de mon bureau. Du fait de ma note relativement basse, je suis interdit d'accès au commissariat principal de Seoul. Et pour cause : que diraient les collègues, les plaignants, les civils, s'ils étaient amenés à côtoyer un 1.86 ? Dans les cas d'extrême urgence, je suis bien aimablement invité à emprunter les passages cachés pour m'entretenir avec mes supérieurs ou accéder aux archives.

Si avant je ne traitais que des cas délicats et servais les sociétaires et fonctionnaires les plus hauts placés, les affaires se faisaient rares et peu diversifiées. Depuis que les bas quartiers sont devenus mon terrain de prédilection, les gens sonnent à ma porte pour m'apporter mille et unes affaires sur un plateau d'argent. Je n'ai plus qu'à fermer les yeux et laisser mon doigt pointer au hasard le dossier qui passera ensuite entre mes mains.

Ou presque.

Si je détiens toujours ma fonction d'inspecteur et les avantages qui vont avec, je me considère plus comme un détective consultant. J'ai dû entendre ce terme un jour en regardant une série, et il m'avait bien plu. Si j'en avais les moyens, je l'aurais bien fait graver dans une plaque dorée que j'aurais exposée fièrement sur la devanture de mon appartement miteux.

Ce jour-là, j'étais concentré sur un cas d'homicide qui avait eu lieu quelques jours auparavant. Je prenais le soin d'examiner scrupuleusement les clichés de la scène de crime ainsi que les preuves que j'avais amassées, quand quelqu'un frappa à ma porte. Par habitude, j’enjoins mon invité à passer la porte sans prendre la peine de me lever pour l'accueillir. Je venais de repérer un élément qui m'avait jusque là échappé, et je ne voulais pas être distrait et risquer de perdre ce que j'avais découvert.

« Bonjour. Yang Jung Mo ? »

Je n'avais plus entendu ce genre de voix douce et apaisante depuis un moment, déjà. Il y avait dans ce grain de voix quelque chose de presque mélodieux, agréable à entendre. Ces derniers temps mes oreilles n'étaient confrontées qu'à des sons dissonants ou rocailleux, c'est vraiment pénible.

Quand elle entre dans mon champ de vision, je ne lève pas encore les yeux sur elle. Le bout de mon stylo finit de courir sur le papier, évitant ainsi à mes pensées de m'échapper définitivement. Je devine mon invitée s'asseoir sur la chaise face à moi. Et quand j'achève enfin d'écrire mes remarques sur mon carnet, je prends enfin le temps de m'intéresser à elle. Quelque chose en moi m'intimait d'apprécier l'instant, de le capturer.

Et c'est un délicieux frisson qui me parcourt de bas en haut, le long de mon échine, lorsque je la dévisage. Elle est loin de posséder un physique ingrat mais je sens qu'il y a plus que ça. Ça ne peut pas être uniquement physique. C'est quelque chose que je n'explique pas. Son sourire est doux, presque candide, comme cette lueur qui se reflète dans ses yeux.

Cette personne m'apaise.

C'est une sensation étrange que je n'ai jamais éprouvée. Est-ce qu'elle ressent la même chose ?

Ce n'est qu'après un curieux instant de silence qui semblait n'appartenir qu'à nous que sa douce voix s'enquit :

« Je m'appelle Moon Chan Mi. Est-ce que je peux t'engager pour enquêter sur moi ? »

Ses mots m'interpellent. Ne voulait-elle pas plutôt que j'enquête pour elle ? J'ai certainement dû rester perplexe quelques secondes car elle sembla s'activer nerveusement et fouiller à l'intérieur de son sac. Elle finit par poser devant moi une liasse de billets et je devine son intention. Je refuse son argent d'un geste poli en prenant la parole pour la première fois :

« Ne t'inquiète pas pour mon salaire, je reste fonctionnaire malgré la singularité de mon lieu de travail. »

Je ne prétends pas non plus être grassement payé, mais j'imagine que j'ai droit à un salaire en adéquation avec ma note et non mon expérience ou expertise. Et même si je ne cracherais pas sur quelques points de plus, je me sens presque coupable d'en faire ma monnaie d'échange avec Moon Chan Mi. Je jette un coup d'oeil à ma télécommande qui repose au coin de mon bureau afin d'obtenir plus de renseignements à son sujet. 3.19, c'est le chiffre qui s'affiche sur l'écran. Mais ce fut elle qui m'apprit ce que les données chiffrées n'auraient su m'indiquer :

« Je suis amnésique. »

Je plisse les yeux avec intérêt, songeant que le cas qu'elle m'offrait là allait sûrement valoir plus que n'importe quelle somme d'argent ou nombre de points.

« Est-ce que tu peux m'en dire plus ? Où commencent tes souvenirs ?  »

Je m'empare de mon bloc-notes et change de page afin d'en entamer une nouvelle, attentif au moindre détail de son récit hésitant et conscient de peut-être être celui qui intercepterait sa bouteille jetée à la mer.

L'évocation de ses souvenirs semblent douloureux. Non pas parce qu'ils sont en eux-mêmes douloureux, mais plutôt parce qu'elle paraît avoir des difficultés à se rappeler. Est-ce physiquement insupportable ? Ressent-elle un élancement dans cette partie de son cerveau lorsqu'elle tente de la stimuler ? Je ne me suis jamais demandé ce que cela pouvait réellement faire, d'être amnésique. Les films ont toujours tendance à dresser le portrait grossier d'une personne un peu naïve et simplette qui ne connait rien à la technologie ou aux bonnes mœurs. Je crois moi-même être le stéréotype du policier déchu qui s'est retrouvé dans l'obligation de se forger un mur d'acier pour se protéger du monde extérieur.

Mais elle n'a rien de simplet. Chan Mi peut être qualifiée de candide ou déboussolée tout au plus, mais elle démolit les préjugés cinématographiques.

Je lui laisse le temps qu'il faut pour qu'elle se remémore des bribes de son passé enfoui. Elle finit enfin par évoquer la pluie, puis le sang et sans doute les immeubles de l'Uptown. Je me les figure encore comme si j'y avais mis les pieds hier, mais il se fait de plus en plus lointain le temps où je pouvais m'estimer chanceux de faire partie de l'Elite.

« Le sang sur ton crâne était-il encore frais ? »

La question peut sembler glauque. Je crois que le fait de fréquenter le Downtown et certains de ses habitants a quelques effets néfastes sur moi. Mais d'après ses dires, je ne pense pas qu'elle se soit bêtement cogné quelque part. Il n'y aurait pas eu telles effluves de sang si tel avait été le cas. Et j'avais besoin de savoir si on l'avait laissée sur les lieux de l'agression ou si quelqu'un s'était donné du mal à la déplacer. Faisait-elle partie de l'Uptown avant son accident ? Je ne pense pas l'y avoir déjà vue. Vous me direz, le monde est vaste et les gens ne font plus attention à ceux qui les entourent et passent à côté d'eux chaque jour, chaque minute, chaque seconde.

« Pardonne ma formulation. » Finis-je par me reprendre.

Je notais sur mon carnet ses mots à mesure qu'elle les prononçait. Mais ses souvenirs étaient fragiles et incertains. Un peu comme elle, en un sens. Je ne pouvais pas établir une piste sûre avec pour seuls indices la pluie, le sang et l'Uptown. Ah, et le fait qu'elle se soit réveillée sans ses chaussures... Etrange. Peut-être avait-elle été victime d'un prédateur sexuel ayant un fétichisme des pieds. Je ne pense pas qu'émettre cette hypothèse la rassure ou fasse avancer l'enquête.

« J'imagine que tu as dû te rendre à l'hôpital. Est-ce que tu y es allée seule ? Que t'ont dit les médecins ? »

Je pourrais sans doute commencer à fouiller de ce côté, ça me semble être un bon début. Le personnel de l'hôpital se souvient certainement d'avoir reçu la visite d'une patiente amnésique au crâne ensanglanté. Peut-être pourront-ils m'en dire un peu plus s'ils décident de se montrer coopératifs. Je risque d'avoir des difficultés à les interroger, avec mon pauvre 1.86. Et si mes collègues ou supérieurs me surprennent à investiguer dans l'Uptown, je risque d'en prendre pour mon grade. Ou plutôt, ce qu'il en reste. J'ai été évincé dans le Downtown comme on cache honteusement ses revues pornos sous son matelas.

« J’adore tes mains. »

Sa remarque singulière me tire de mes réflexions et me laisse un instant interdit. N'a-t-elle pas de filtre entre ce qu'elle pense et ce qu'elle dit, ou bien le choc reçu à la tête a-t-il affecté cette zone du cerveau également ? Que suis-je censé répondre à ça ? Malgré moi je ne peux m'empêcher d'esquisser un rictus à la fois amusé et narquois.

« Elles ne sont plus aussi pures qu'autrefois. »

Combien de fois ai-je usé des poings depuis que je vis dans les bas quartiers ? C'est désormais devenu une formalité pour montrer qui a le dessus dans l'interrogatoire. Je pense même m'être bâti une « bonne réputation » car les sales types ont tendance à moins me chercher de noises quand j'en croise. Et certains tremblent même en m'apercevant au bout de la rue.

« Qu'avais-tu sur toi à ton réveil ? »

Suite au silence confus qui suivit ma question, je compris que mes paroles n'avaient pas suivi le cours de mes pensées. J'avais déjà mis de côté sa remarque sur mes mains pour me reconcentrer sur son accident.

« Pas ce matin, je veux dire. Quand tu as repris conscience après le choc à la tête. »

Je sais que je suis plutôt doué pour ne pas laisser transparaître mes sentiments, et c'est un avantage lorsque comme à cet instant précis je n'ai qu'une envie : me terrer sous une pile de dossiers pour y disparaître.

Oops.

Son récit devient soudainement plus riche en informations. Moon Chan Mi s'est en effet rendu à l'hôpital le jour où elle s'est réveillée, et elle n'était pas seule. Je ne sais pas si j'ai une chance d'obtenir l'identité de cette femme qui l'a accompagnée. Chan Mi devait être plus occupée à essayer de se souvenir de la sienne avant de retenir celle des autres. Mais cette femme aurait sûrement plus de détails à apporter à cette histoire qu'elle pourrait éclaircir de son oeil extérieur.

Je repense alors à ce merveilleux outil qui régit désormais le quotidien de tout un chacun et qui, en plus de nous faciliter la vie, fait office d'une incroyable mémoire qui stocke tous les renseignements possibles. Il est probable que sa télécommande ait enregistré le nom de cette femme avec qui elle a interagi. Seulement, un détail me préoccupe : Chan Mi affirme n'avoir possédé ni sac ni papiers. Ce qui laisse sous-entendre qu'elle n'avait pas cet appareil en sa possession. Mais je dois en avoir le coeur net avant de bannir définitivement cette hypothèse.

« Est-ce que je peux voir ta télécommande ? Peut-être qu'elle renferme des informations sur les gens que tu as côtoyés. »

Alors que je tends la main dans l'attente du-dit objet, le regard de Chan Mi s'accroche au mien et s'illumine comme si une bribe de son passé lui revenait soudainement. Elle m'indique avoir un tatouage particulier sur la cuisse et, avant même que je ne puisse répondre à sa proposition de me le faire voir, elle se lève et commence à baisser son jean sans pudeur. Je détourne les yeux en m'éclaircissant la gorge, mal à l'aise. D'où sort-elle, pour n'avoir aucune connaissance des codes moraux et de la bienséance ?

J'imagine qu'au vu de la partie du corps où se situe le tatouage, il n'y a pas d'autre solution que celle-ci pour en avoir un aperçu. Je soupire et finit par y jeter un oeil en m'estimant heureux qu'elle n'ait pas décidé de se tatouer les seins.

En apercevant le symbole stylisé de la lune dessiné avec cette finesse qui m'interpelle, je fronce les sourcils en essayant de me rappeler ou et quand est-ce que j'ai déjà vu ce genre de tatouage. C'était il n'y a pas si longtemps que ça, je crois. Une lune... Le dessin n'était pas exactement le même mais je suis certain qu'il y a un rapport entre les deux.

Puis, je me rappelle.

L'homme qui arborait ce tatouage n'était pas quelqu'un de recommandable. Pour cause, je l'ai côtoyé lors de mon séjour au camp d'amélioration. Il avait été arrêté par des collègues pour un délit mineur, le genre d'acte condamnable mais qui n'amenait pas à croupir en prison. On lui laissait une chance de méditer sur ses actions et de se repentir en l'envoyant faire un tour au camp. Cette sentence s'était accompagnée d'une chute considérable de sa note qui justifiait sa présence en ces lieux. Je crois qu'il était tombé plus bas que moi.

Seulement, je n'en sais pas davantage sur la signification de ce tatouage. Peut-être n'était-ce qu'une coïncidence, un effet de mode dont je n'avais pas eu connaissance. Mais il me parait étrange que deux personne radicalement opposées possèdent le même style de motif encré sur leur épiderme. Il doit certainement y avoir un lien caché.

« C'est peut-être un indice, en effet. » Conçois-je sérieusement.

Puis je lui fais signe de se rhabiller. Sa présence à elle seule suffit à me dérouter plus que je ne l'imaginais et sans que je n'en connaisse la cause, alors mieux valait qu'elle garde ses vêtements en place.

« Pour tout te dire, j'ai déjà vu ce tatouage auparavant. Et je connais une personne qui pourra certainement nous en dire plus, s'il décide de se montrer coopératif. Et si j'obtiens un droit de visite, bien entendu. »

Ca n'allait pas être une partie de plaisir. J'ai déjà des difficultés à obtenir des laisser-passer pour enquêter dans le Middletown, alors quid du lieu le plus gardé de la ville ? Même l'Uptown est loin d'être une telle forteresse. Mais comme on dit, qui ne tente rien n'a rien. Et dans le pire des cas, je n'aurais qu'à user de mes ressources pour y pénétrer illégalement en prétendant avoir acquis une autorisation pour un droit de visite. J'emmènerais Chan Mi avec moi pour que ce type la voie. Peut-être qu'il saura nous en dire plus à son sujet. Qui est-elle ou plutôt qui était-elle ?

L'information que je lui ai donnée un peu plus tôt a réveillé en elle un vif intérêt, je le vois à cette lueur qui scintille dans son regard. Au fond de moi, j'ai un peu honte : j'ai l'impression de la nourrir de faux espoirs et d'amorcer des semblants de promesses que je ne pourrais peut-être même pas tenir. Certes, je sais exactement où chercher et qui chercher. Mais les obstacles pour parvenir jusqu'à ce type sont nombreux et sûrement infranchissables pour la plupart. Beaucoup de gens se mettront en travers de notre quête, c'est à n'en pas douter. Que ce soit la police elle-même ou encore les gardes ou dirigeants du camp d'amélioration, ils n'allaient pas nous faciliter la tâche, loin de là. Je ne suis sûr de rien. Peut-être que cette seule piste n'est finalement qu'une impasse. Je n'ai aucune certitude. Mais...

La seule chose dont je suis certain, c'est que je veux l'aider. Et quand elle me demande si la personne que j'ai évoquée est enfermée quelque part, je réponds d'un simple hochement de tête pour acquiescer. Doit-elle savoir que j'ai moi-même été enfermé avec ce type en question ? Elle le verrait bien par elle-même si l'on réussit à avancer jusque là. Je ne sais pas trop si j'ai envie qu'elle connaisse cette part d'ombre qui fait tâche dans mon si prestigieux parcours. Enfin, quand on voit à quel point j'en suis désormais, il n'y a plus rien de prestigieux à vanter.

En réponse à mon interrogation, Chan Mi présente devant mes yeux sa propre télécommande qui recèle certainement les informations dont j'ai besoin ainsi que des indices qui pourront sûrement nous éclairer un peu plus. D'un geste presque machinal, je parcours les données recueillies dans son boîtier électronique et annote de temps à autres sur mon carnet des noms ou détails qui retiennent mon attention.

« J’ai oublié de mentionner que je l’avais ce jour-là. Dans ma main. »

Je relève vers elle un regard inquisiteur et pensif. Ses données avaient-elles été effacées comme sa mémoire ou bien le contenu était-il resté intact ? C'est ce que je m'empresse de vérifier en remontant son historique le plus loin possible. Mais comme je m'y attendais, il y a un moment où cela a fini par coincer, m'interdisant ainsi l'accès à des informations plus anciennes. Je crois qu'il y a besoin d'une permission de la Sunrise Corp. dans ces cas-là, enfin c'est ce qu'il me semble.

Je ne sais pas depuis combien de temps j'étais resté silencieux, concentré sur l'exploration de la télécommande de Moon Chan Mi. Mais les mots qu'elle a alors prononcés ont flotté un instant dans l'air, comme un nuage qui planait au-dessus de nos têtes et qui menaçait à tout instant de me foudroyer d'un éclair sentencieux si j'en venais effectivement à l'abandonner un jour ou l'autre.

« Ne m’abandonne pas en cours de route. »

Comment le pourrais-je ? J'avais le sentiment d'être responsable d'elle. De porter sa vie entre mes mains, avec la crainte permanente de risquer de la briser à tout instant.

« Je resterai à tes côtés quoi qu'il advienne et je t'aiderai à retrouver ce passé qui t'échappe. C'est une promesse. »

Je ne sais pas qui j'essaye de rassurer le plus en ponctuant ma phrase d'un léger sourire qui se voulait bienveillant. Cette femme toute entière est un mystère que je dois élucider, et je ne sais pas si je parviendrais un jour à le percer. Mais une chose est sûre, cette envie de lui apporter mon soutien et de rester à ses côtés est bien réelle, même si j'ignore son origine. Pourquoi me fait-elle cet effet ?

Je finis par lui rendre sa télécommande au bout de quelques minutes. Quelle chance tout de même que la Sunrise Corporation ait inventé un tel objet qui permette aussi de se souvenir des choses et événements à la place de son possesseur. Dans un cas comme celui-ci, cela nous est absolument bénéfique.

« J'ai assez d'éléments pour commencer à enquêter de mon côté. Je préfère te prévenir dès maintenant que cela risque d'être long. Il y aura tout un processus de recherches de personnes et de recueil d'informations à mener. »

Depuis que j'ai atterri dans les bas quartiers, ce n'est plus dans mes habitudes d'enquêter en compagnie d'un partenaire. Je vadrouille généralement seul, peut-être est-ce parce que je prends plus de risques d'auparavant et que je n'ai nul besoin d'un acolyte qui risquerait de me retarder et de susciter mon inquiétude plus qu'autre chose. Je ne sais que trop bien quel danger il y a à devoir prendre en considération les répercussions sur la vie des autres dans une affaire. Je crois qu'en prononçant ces mots, j'essaye malgré moi de dissuader Chan Mi, de l'éloigner de moi et de la menace que cela peut représenter de m'accompagner.

« Je te laisse bien sûr ma carte avec mon numéro, en cas de besoin. Ou même si tu as juste envie de parler à quelqu'un. »

Je fais glisser jusqu'à elle ma carte de visite contenant toutes mes coordonnées. Et je crois qu'au fond de moi, j'espère juste qu'elle ne s'en servira pas qu'à titre professionnel.

Ai-je craint un instant qu'elle n'accepte pas la carte que je lui tendais. Je crois que la réponse est oui, même si de toute évidence Moon Chan Mi avait besoin de mes coordonnées pour l'enquête qu'elle m'avait confiée. Mais en réalité, je me cache derrière ce prétexte et je prie pour qu'elle m'appelle plus tard, peut-être ce soir, peut-être demain ou encore la semaine prochaine. Je suis prêt à attendre le temps qu'il faudra pourvu qu'un beau jour son nom apparaisse sur l'écran de mon téléphone, et que sa voix s'élève de l'autre côté du haut-parleur.

Je la regarde à regret se relever et s'éloigner doucement. Pourquoi ce sourire qu'elle m'adresse paraît si apaisant et fait pourtant s'accélérer les battements de mon coeur ? Cette femme est un mystère, je crois que je ne le répèterais pas assez à l'avenir. Je veux la déchiffrer, savoir pourquoi à son contact j'ai l'impression de perdre mes moyens et tout contrôle de mes mots et mes gestes. Elle me déstabilise.

« A bientôt, Moon Chan Mi. » je lui réponds en retour.

Je la vois s'emparer de sa télécommande et me rappelle soudain que je dois également lui attribuer une note. Ce devoir me sort de ma songerie et me ramène ainsi à la réalité. Pour la première fois depuis longtemps, je vois apparaître sur l'écran deux chiffres dénués de tout symbole négatif les précédant. Venant d'elle, même un simple 2 m'aurait amplement suffi ; j'aurais été déjà bien heureux qu'elle m'accorde cette attention. Et je suis déjà bien heureux qu'elle ait posé les yeux sur moi. Qu'elle m'ait vu.

En réponse à cette attention, je lui adresse en retour le même nombre qu'elle m'avait généreusement offert. Ce cadeau qui me permettrait peut-être à gravir de nouveau les échelons et me hisser une fois encore au sommet de cette société imaginée par la Sunrise Corp.

Je contemple encore un instant la note que Chan Mi m'a attribuée, avec l'espoir qu'elle annonçait un renouveau bénéfique dans ma vie professionnelle... Et personnelle.



☾ anesidora