[TERMINE] Wild like a butterfly ☆ with Park Soo Hwa

Wild like a butterfly ☆

Les mains au fond de mes poches, j'effleure doucement mon briquet du bout des doigts, luttant contre l'envie furieuse de m'allumer la dernière cigarette de mon paquet. J'en conclus que c'est une mauvaise idée : je n'ai qu'à lever le nez pour voir le ciel se couvrir de nuages, en phase avec la légère pluie qui commence à tomber. Je n'ai rien contre la pluie. Elle m'aide à fuir mes pensées, elle dilue l'encre sur la peinture des vieux souvenirs et se mélange pour créer une nouvelle couleur, un peu étrange, un peu douce, un peu piquante, un peu vulgaire, et ça me plaît.

Il n’empêche, il ne faudrait pas qu'elle abîme mon carnet logé au fond de mon sac.

Sur ce réflexe conservateur, j'avise le petit café à l'angle de la rue, presque vide vu l'heure avancée. Mes pas me dirigent vers la porte que j'ouvre en une poussée, appréciant la douce chaleur de l'intérieur sur mon corps. Je vois le comptoir, et m'en approche pour commander un café à la jeune serveuse. Rapidement, elle lance un coup d'oeil à sa télécommande et comme souvent, une légère grimace pleine de pitié traverse l'ombre de son regard. Je ne sais pas ce qui est le plus vexant : la pitié, ou le mépris ? Quand elle relève les yeux vers moi, je ne peux retenir un rictus en soufflant :

« Et encore, le mois dernier, c'était 2.11. Est-ce que je peux avoir un café maintenant ? »

Elle rougit de gêne, balbute une excuse à la va-vite et s'éloigne pour s'occuper de ma commande. Adossé au comptoir, je jette un coup d'oeil à ma télécommande, geste qui est devenu plus fréquent pour moi depuis ma soudaine montée de points après ma rencontre avec cette Kim Ae Ran. Je vérifie que tout cela est bien réel. Pourquoi est-ce qu'elle m'a mise un +10 ? Je passe une main dans mes cheveux sombres, les ébouriffant un peu plus tout en repensant à cette unique entrevue avec la muse au visage envoûtant. Aussitôt disparue, j'ai perdu la flamme qui m'avait animée pendant un court instant en la voyant. Une fois rentré, j'ai voulu dépeindre ce visage sur une toile vierge ; blanche elle était, blanche elle est restée. Sans l'avoir sous les yeux, j'ai été incapable de me lancer.

Un soupir de frustration s'échappe d'entre mes lèvres et je reviens à la réalité quand la voix timide de la serveuse m'annonce que mon café est prêt. Je tourne la tête pour balayer la salle du regard, histoire de m'installer dans un coin pour dessiner. Mais rapidement, un regard attire mon attention et le sol se dérobe sous mes pieds pendant une intense seconde, si bien que j'en perds le souffle.

Kim Ae Ran.

Quand on parle du papillon.

Je ne cherche pas à connaître le pourquoi de sa présence. Ce qui compte, c'est qu'elle soit là et qu'une étincelle invisible s'allume dans un coin de ma tête. L'inspiration. Sans réfléchir, j'attrape le café entre mes doigts et traverse la salle, porté par son regard. Malgré la pluie qui s'épaissit dehors, j'ai tendance à voir un rayon de lumière dans les orbes sombres de cette fille. Je pose mon café sur sa table, prends le sac gênant sur la chaise et le pose sur la table à côté de mon café. La voie enfin libre, je m’installe sur la chaise face à elle, satisfait, avant de pencher la tête :

« Tu t'es perdue, le papillon handicapé ? »

Je bois une gorgée du liquide amère, lui laissant le temps d'accuser le coup. Comment nommer un papillon aux ailes trouées, sinon ? Mes yeux suivent les traits réguliers de son visage en silence, similaires à la dernière fois. Même la fatigue ne semble pas altérer la délicatesse de ses traits. Si la solitude est ma maîtresse, la beauté est ma compagne, et je suis faible face à elle. Immédiatement, une pulsion grimpe le long de mes doigts, me hurlant de me saisir de mon carnet.

J'ai affreusement envie de la dessiner.

Mais à la seconde même où je repose ma tasse, mes yeux tombent sur la feuille de papier posée devant moi. Je reconnais immédiatement son portrait reposant sur les grains blancs, ce même portrait que j'ai croqué un mois auparavant. Il n'est ni écorné, ni abîmé, ni même jauni par l'humidité. Elle en a donc prit soin tout ce temps ? Passé la surprise, une chaleur inconnue se diffuse lentement le long de mes veines, traversant mon corps en silence. Je relève mes yeux sombres sur le visage de Kim Ae Ran, un sourire étirant le coin de mes lèvres :

« T'étais en train de penser à moi ? »

Codage par Libella sur Graphiorum

Wild like a butterfly ☆

Je ne la quitte plus des yeux, soutenant le duel qui s'est lancé entre nous depuis que nos chemins se sont croisés. Il n'y a pas de mensonges, sur ses traits, mais peut-être bien dans ses prunelles sombres. Et c'est peut-être là que réside le problème. Peut-être qu'elle a été élevé à la dure, à la réalité cruelle et qu'on lui a appris que la vérité ne pouvait qu'être blessante. Peut-être qu'on lui a appris à craindre la différence, craindre ceux qui tentent de s'échapper un peu des sentiers.

« Un papillon aux ailes abîmés peut toujours voler. Il doit juste se battre plus fort que les autres, et c'est justement ce qui le rend si beau. »

Je garde ma tasse brûlante entre mes doigts, perdu dans ma contemplation. Même la grisaille au dehors ne semble capable de ternir la perfection de ses traits. Ça a un côté frustrant. Elle me regarde, et me demande ce que que cela ferait de moi. Un sourire un peu plus léger étire le coin de mes lèvres, alors que je murmure avec douceur :

« Je ne suis qu'une feuille blanche sur laquelle on a passé trop de couches de peinture. »

Je ne sais pas ce qui lui passe par la tête. L'inextinguible feu qui brûle son esprit, les pensées qui furètent dans sa tête, les mots qui se forment en silence quand elle m'entend. J'ignore l'ombre de son histoire, les souvenirs qui l'accompagnent, les blessures qu'elle cache, les qualités qu'elle possède, les douleurs qui pèsent sur ses épaules, les pêchés mignons qu'elle s'accordent dans l'intimité. Je n'en sais rien, je ne connais rien de cette fille. Je ne fais que supposer, déduire, tout en plongeant dans l'abysse de son regard pour y déceler quelque chose de plus profond. Et ce que je vois, c'est qu'elle pose des barrières qui m'empêche de voir ce qu'elle est vraiment, ce qu'elle cache derrière ce beau visage.

Et ça me rend curieux.

« Malheureusement pour toi, je suis inoubliable. »

Je ricane en observant sa réaction, tout en buvant une nouvelle gorgée de café. Mes mots ne sont pas forcément à prendre dans le sens mélioratif du terme ; mais ça, c'est à elle de voir. Mes yeux suivent les lignes de sa mâchoire, avant de remonter le long du nez en une caresse invisible et brûlante. Si j'avais mon chevalet et ma toile, en cet instant, je serais le plus heureux des hommes. Le besoin irrépressible de figer son visage de façon éternelle me bouffe l'esprit, étouffant ma gorge de ce désir pressant. Finalement, les mots passent la barrière de mes lèvres sans que je ne cherche à les retenir :

« Comment est-ce que je pourrais te convaincre de poser pour moi ? »

Je pose ma tasse de café vide devant moi, tout en cherchant une réponse dans son regard. J'imagine parfaitement de quelle façon je pourrais recréer son portrait ou son corps sur une toile de couleur, des ailes éphémères, des draps de soies déchirés et son regard rivé sur le spectateur. J'ai des frémissements qui courent le long de mes bras d'anticipation, rendant l'attente insoutenable. Elle est mon inspiration, et je refuse de la laisser filer.

« Je veux peindre ton portrait. »

Codage par Libella sur Graphiorum

Wild like a butterfly ☆

Mon regard se perd un instant sur le paysage extérieur, alors que la pluie maltraite le sol de sa violence. Ce paysage a quelque chose de beau, presque doux. J'en oublie même un instant mes mots, ceux dont je voulais user pour la convaincre, cette fille au regard sombre qui me fait face avec élégance. Qui est le chasseur, et qui est la proie ? Le jeu est relancé, l'issu indéterminée.

Et c'est ce qui est plaisant, dans cette conversation.

Mes pupilles se dilatent si fort que je peux presque les sentir, tirant sur mes yeux quand je la regarde. Ses mots parlent d'eux mêmes. C'est comme si elle avait déjà accepté.

« Si tu le savais, ça perdrait tout son intérêt. »

Nous nous jaugeons du regard tous les deux. Une bataille s'est lancée, sans savoir s'il y aurait réellement un vainqueur ou uniquement deux vaincus. Cette fois, il n'y a ni moquerie ni ruse de ma part, aucune tentative de déstabilisation. Je pense sincèrement que le jeu en vaut la chandelle précisément parce qu'aucun de nous n'a la moindre idée sur quoi tout cela débouchera. Je croise doucement mes doigts tatoués, tranquillement posés sur la table, avant de reprendre calmement :

« La vraie question que tu dois te poser, c'est si tu en es capable. Tout le monde ne peut pas poser pour quelqu'un sans craindre de se dévoiler tel qu'il est. »

Je suis bien placé pour savoir de quoi je parle ; c'est précisément pour cette raison que je suis celui qui regarde et non pas celui qui est vu. Hwa Min a prit une photo de moi lors de notre toute première rencontre et j'ai eu du mal à accepter d'être regardé. C'est difficile, d'accepter que quelqu'un puisse apercevoir tout ce que l'on tente de cacher. Et s'il y avait une autre raison à l'hésitation d'Ae Ran, est-ce qu'elle aurait gardé ce dessin retraçant son portrait volé ?

Je peux comprendre sa réticence.

« Nous savons tous les deux que rien ne t'oblige à accepter. Je peux me lever, repartir et disparaitre de ta vie comme le ferait un courant d'air. Demande toi simplement si tu ne rateras pas quelque chose qui aurait pu être une belle expérience. »

Codage par Libella sur Graphiorum

Wild like a butterfly ☆

Un silence, fatal, s'allonge sous mes lèvres alors que ses mots me parviennent. Je l'écoute longuement, j'entends ses paroles qui m'assaillent malgré la course folle dans laquelle mon coeur s'est lancé. J'aimerais pouvoir faire une pause, brusquement, comme dans les jeux, ou dans les films. Pourquoi ça ne se fait pas, juste comme ça, dans la réalité ? J'aimerais ne plus rien entendre, ne plus entendre sa voix qui met à nu mes faiblesses sans la moindre difficulté, m'assénant le coup de grâce avec un sourire vainqueur. Elle a raison, et tenter de le nier serait ridicule. Pourtant, l'envie de me lever me tenaille. Je pourrais, après tout. Ce serait facile, de forcer mes jambes à me soutenir pour tourner les talons, lui prouver qu'elle n'a pas autant d'importance que ce qu'elle s'en donne.

Pourtant, mon corps s'y refuse. Il reste obstinément immobile, le regard accroché au sien dans un silence religieux. J’inspire doucement. Une simple respiration. Saccadée, forte. Une qui fait mal, qui brûle à l’intérieur. Je tremble, légèrement mais sûrement trop quand même. Un drogué ? Pouvait-elle tomber plus juste ? Ça fait bien longtemps que mes prières restent muettes, les doigts dans les cheveux face à cette toile éternellement vierge. Comment la déflorer sans désir, comment la voir en étant aveugle ? J'ai vu une solution sur le visage de Kim Ae Ran alors oui, j'ai besoin d'elle.

L'admettre à voix haute est bien plus difficile, cependant.

« Quelle importance? Je suis déjà fou. »

Je me recule légèrement, posant mon dos contre le dossier de ma chaise pour prendre plus de distance, pour la regarder entièrement. Mes pensées divaguent en même temps que mes yeux voyagent sur ce qu'elle a à offrir. Dans ma tête, mon esprit est en pleine tempête. Je suis prisonnier sur une pauvre barque qui menace de couler. L'eau ne cesse de monter, la panique me submerge chaque jour un peu plus. Et si le syndrome de la page blanche ne passait pas ? Et si je ne parvenais plus jamais à peindre? Les vagues sont trop grandes, immenses. J'ai peur de me noyer.

Je ne peux pas rester comme ça.

« Tu as raison, Kim. » J'articule avec difficulté ces quelques mots, ma fierté m'insultant avec fureur. « Je suis en plein naufrage, et en t'apercevant, j'ai reconnu la lueur du phare que je recherche depuis longtemps. »

Je ne m'épanche jamais sur mes états d'âme à une presque inconnue en général, mais j'ai l'intime conviction qu'aujourd'hui, je dois tout donner, même la vérité.

Mon regard s'accroche à nouveau à l'étendue sauvage qui brille dans ses orbes sombres, conscient que je n'ai effectivement rien à lui offrir en dehors de mon talent.

« Le dessin, les encres, la peinture... C'est tout ce que j'ai. C'est ma seule raison de vivre. Même si ce n'est qu'une unique fois, pose pour moi. »

Codage par Libella sur Graphiorum

Wild like a butterfly ☆

Mes doigts s'attardent sur la hanse de ma tasse vide, cherchant une réponse, une réaction. Nous bataillons longuement, ses yeux dans les miens avec l'impression que le temps s'est arrêté en même temps que la pluie martèle le café dans lequel nous avons trouvé refuge. Ses lèvres de rose se délient pour lâcher deux simples mots, le ton moqueur les accompagnant tel un fidèle ami. Je ne relève pas, conscient que son monde et le mien sont probablement trop éloignés pour se comprendre.

J'ai peut-être fait une erreur.

Ses doigts se serrent autour de sa tasse, comme pour garder une contenance, soulevant une nouvelle barrière si épaisse que je suis incapable de lire au travers. Je ne suis pas contre que l'on mette des murs entre nous et les autres... Mais j'admets que face à elle, j'apprécierai construire une fenêtre, et apercevoir ce qu'elle cache, derrière ses longs cils sombres.

Sa question aurait pu me désemparer. Elle aurait pu, si je ne me posais pas la même chaque soir, allongé sur mes draps emmêlés. Si je ne dessine pas, si je ne tatoue pas, si je ne peins pas, je ne suis plus rien.

« Je te l'ai dit. Je n'ai pas de raison de vivre en dehors de ça. »

Qu'est-ce qu'elle attend de moi ? Est-ce qu'elle veut savoir si elle tient le fil qui retient ma vie entre ses doigts ? C'est bien plus complexe que ça. Et accepter pour une telle raison perdrait tout son intérêt.

Je ne veux pas de sa pitié.

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Wild like a butterfly ☆

Est-ce qu'elle s'imagine depuis le début que mes propositions n'ont rien de sérieux ? Pourtant, je suis certain qu'elle a fini par se rendre compte du tremblement de mes doigts, de l'impatience qui brille au fond de mes yeux, de l'envie étouffante qui se presse dans ma cage thoracique, de ce désir d'apposer ses couleurs sur mes toiles, de façon permanente. Encore une fois, la tempête de mes pensées redouble de férocité, manquant de passer par dessus bord ; j'ai l'impression de jouer ma vie dans cette conversation.

Peut-être est ce le cas.

« Je ne vends pas mes tableaux, si c'est ce qui t'inquiète. »

J'aurai pu. Mon ancien patron m'avait d'ailleurs conseillé de le faire, peu de temps avant que je n'ouvre mon salon de tatouage. Mais j'ai eu le sentiment désagréable de mettre en vente des morceaux de moi-même, et pour quelqu'un qui n'apprécie pas être jugé, ça aurait été ironique. Il y a bien des œuvres qui reposent dans mon petit studio, étant égoïstement leur unique spectateur. Mais je ne leur réserve pas à toutes le même sort. Je la dévisage longuement, réfléchissant, pour une fois, au choix de mes mots.

« J'expose parfois certaines toiles. Ça dépend. »

Je doute qu'elle apprécie l'idée que son image soit exposée à la vue de mes clients. Pour l'instant, je n'évoque pas ce détail, préférant lire ses réactions. Je n'aime pas être brimé et je n'apprécierai pas que l'on m'interdise d'exposer une peinture que j'ai envie de montrer. Mais pour cela, encore faudrait-il que ma capricieuse muse accepte de me prêter son image et devenir mon modèle.

« Est-ce que tu veux voir mes toiles ? »

Je pars du principe que l'exemple est toujours plus frappant que n'importe quelle explication. Mes tableaux sont loin d'être conventionnels, et être totalement transparent à ce sujet ne me dérange pas.

Codage par Libella sur Graphiorum

Wild like a butterfly ☆

Oui.

Ce simple mot m'arrache un long frisson d'anticipation, courant le long de ma colonne pour mourir à la naissance de ma nuque. J'ignorais jusqu'ici qu'un mot si simple, une syllabe pouvait me faire l'effet d'un nouvel horizon s'étendant sous mes yeux. Je la dévisage comme pour être certain de ne voir aucune moquerie dans le coin de ses yeux ou sur le bord de ses lèvres. Et je comprends qu'elle est sérieuse.

Elle referme son portable d'un geste ferme, accélérant alors son départ prochain. Avec une efficacité rare, elle range rapidement ses affaires dans son sac, laissant alors une table propre et lisse. A l'image de ce qu'elle renvoie.

Mais ce qui m'intéresse, c'est la couche en dessous.

Ses doigts pianotent rapidement sur la télécommande, et je reconnais sans mal le son qui émane de la mienne. Doucement, je l'attrape au fond de ma poche pour y jeter un coup d'oeil et découvre les coordonnées d'Ae Ran, notamment son numéro de portable. Une légère étincelle perce les nuages de ma tempête intérieure et une excitation invisible s'empare de ma chair.

Ses derniers mots m'arrachent un sourire joueur alors que je me redresse lentement, la télécommande toujours dans la main.

« Tu ne t'en relèveras pas.»

D'un geste du pouce, j'envoie ma note sur sa télécommande, comme un remerciement à sa confiance. Cependant, je n'oublie pas le sale coup qu'elle m'a fait l'autre fois, et le fait ressentir d'un point, contrairement à notre première rencontre.

Et sans un mot de plus, je m'éloigne de ce papillon sauvage, le coeur battant au rythme de mon impatience.

Codage par Libella sur Graphiorum